Le regard de l'enfant











J'adore cette photo.

Elle date de 1964 ou 65. Elle a été prise aux Etats-Unis, par Bob Bonis, qui fut alors, là-bas, le "tour manager" des Rolling Stones. L'homme étant aussi photographe amateur - doté d'un sacré talent, de toute évidence -, nous lui devons cette géniale photo, laquelle figure parmi 2700 clichés réalisés sur la route, ces années-là. 2700 photos qu'il n'a pour ainsi dire jamais montrées, et dont une sélection figure dans un livre paraissant ces jours-ci outre-Atlantique.















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Sur la photo de Jagger avec son très jeune "fan", on est frappés par l'impression de tranquille connivence qui les unit. Deux hommes, un tout petit, et l'autre âgé d'une vingtaine d'années, si calmes, si proches, mais qui ne se connaissaient sans doute pas trois secondes plus tôt, et ne se sont certainement plus jamais vus ensuite.

L'image a probablement été prise à l'occasion d'un de ces "meet and greet" auxquels les jeunes Stones devaient encore se conformer. Je me demande quel souvenir le gamin peut garder de ce moment. Ce qu'il a signifié pour lui... Sans doute beaucoup. Mais comment en être sûr... ? L'image a sa part de mystère.

Le hasard a voulu que je parle de l'impact de la musique sur les enfants (et les ados) lors d'un déjeuner, il y a quelques jours, avec Simon Raymonde. Comme vous le savez peut-être, Simon, 48 ans, fut membre des Cocteau Twins avant de devenir le fondateur et l'âme du label Bella Union (l'écurie des Fleet Foxes, de Midlake, de Laura Veirs...). Alors que nous parlions du rapport des "kids" aux disques (et aux mp3, à iTunes, aux clips, etc), il me confiait qu'il avait eu une conversation assez déboussolante avec son fils, qui a, je crois, 16 ans.

Le fils de Simon aime le rock. Il va voir des concerts, mais surtout, il est scotché à son iPod. Et alors que son père, musicien émérite et donc patron du plus beau label anglais des dernières années, lui posait la question : "c'est qui, tes groupes préférés, en fait ?", son ado de fils lui a fait cette réponse qui l'a séché sur place (de même qu'elle m'a glacé lorsqu'il m'a raconté la scène") : "comment ça, mes groupes préférés ??? Tu veux dire... mes chansons préférées ?"

"Non", a repris Simon. "Je veux bien dire : tes groupes préférés ??"

"Mais papa, je n'en ai pas, de groupes préférés ! On s'en fout, des groupes, non ? Moi, ce que j'aime, c'est les chansons. Pas les groupes...".

Les chansons... pas les groupes. Comme on dit en anglais, "I see his point". Oui, je vois ce qu'il veut dire, le fils de Simon. Je perçois l'idée, le concept. Et je ne suis pas choqué de ces mots, mais plutôt un peu triste. Pour lui. Pour cette perte. Cette perte de sens dont il n'a pas idée. Ce trésor (aimer un groupe, le suivre, lui être fidèle) qu'il ne tiendra sans doute jamais dans ses mains.

Triste, aussi, parce que ces mots sont frappés d'une désarmante sincérité. A un tel point qu'il ne comprenait même pas la question de Simon... A l'époque où la musique ne se consomme presque plus qu'en petites tranches de 3 minutes et quelques, un ado de 16 ans (et notre échantillon d'ado britannique ici mentionné baigne pourtant dans la musique) n'a pas la curiosité de se pencher sur la discographie complète, par exemple, de Clash. Il se "contente", se satisfait de trois ou chansons de Clash. Et ne pense pas devoir (ou pouvoir) aimer Clash dans son ensemble. Trois ou quatre fois 3 minutes de Clash lui suffisent...

Le petit fan de Jagger, sur la photo, doit avoir une cinquantaine d'années aujourd'hui. S'il a des enfants, aiment-ils les Stones ? Je veux dire : les Stones, comme groupe, comme oeuvre, comme cheminement, comme masse de travail ? Ou alors... se contentent-ils d'aimer... quelques chansons des Stones ? Who knows... •


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