De l'art de se gratter le nez sur scène (et autres remarques délicates à propos d'une jeune fille)






Elle se dandine sur scène, pas très à l'aise, semblant parfois vouloir s'enfuir entre deux chansons - mais trop tard, elle est là, devant 200 personnes, au Café de la Danse, à Paris, et se sauver comme une voleuse, non, ça ne se fait pas.

Elle a mis sa drôle de petite robe à motifs, et laissé ses longs cheveux tomber sur ses épaules, et tant pis si ça lui donne un air étrange de vedette de cinéma muet. Elle cherche sa place, s'excuse presque d'être là, comme si elle était une petite cousine des Mama's and Papa's paumée dans une époque trop moderne pour elle, égarée à Paris, sans son papa, sans sa maman.

Elle est capable de se gratter le nez au milieu d'une chanson (et j'ai déjà essayé, ça n'est pas si simple !). Sa bouche, également, fait des trucs un peu bizarres. A la fin de certaines phrases, tout au bout de ces mélodies simples et gracieuses qui font la beauté de son album à paraître, cette drôle de bouche farceuse se tort sur le côté, et met un moment avant de retrouver son emplacement naturel. Ça me fait un peu penser à Christine Ockrent lorsqu'elle présentait le JT les jours de mauvais temps. Une mauvaise nouvelle, un drame dans le monde, et sa bouche se tordait. Pour Ockrent, passait encore. Pour une chanteuse de folk anglaise sans âge (la folk, pas la chanteuse), ça fait un peu désordre. Quoique.

Elle est seule sur scène, juste sa voix, sa guitare folk, sa drôle de robe à motifs, et sa trouille gigantesque. Elle est comme nue et le sait. Pas un bruit dans la salle.

Elle glisse quelques mots de français entre les chansons. Puis reparle en anglais. Des micro-phrases ponctuées d'un petit rire embarrassé. J'imagine qu'elle rougit à peu près toutes les 30 secondes, mais les lumières de la salle sur son visage font office de maquillage arrangeant.

Lorsqu'elle arrive au bout d'une des dix ou onze ballades interprétées avec toute l'intensité que son trac immense ne parvient pas totalement à bloquer, elle ponctue son exploit, aussitôt la dernière note accouchée, d'un tout petit... "ok..." qui s'adresse plus à elle même qu'à nous, le public. "Ok... Ok... Ok... Une de plus... Je vais y arriver... Je dois m'accrocher... Plus que trois chansons... Dans dix minutes, je serai dans ma loge, je boirai un verre d'eau... Ok... Ok... Ok..."

Ça y est, elle y est presque. Elle regarde sa montre pour savoir combien de temps il lui reste. Ça aussi, c'est un truc que les musiciens ne font jamais publiquement : regarder leur montre pour savoir de combien de minutes ils disposent encore. Grâce et naïveté mêlées, moment de justesse immense, trac encore, trac toujours. Elle remet son capo, pas très bien, mais ça ira. Et puis finalement, elle joue deux titres encore avant de quitter la scène sous une belle ovation. Elle met au moins une minute à partir, après avoir repris son petit sac à main posé au pied du micro. "Ok..........."

Elle s'appelle Alessi Laurent-Marke et n'a que 20 ans. Alessi's Ark est le nom sous lequel elle sort ses disques. Et malgré tout ce qui précède, ces sortes d'énormes anomalies cocasses (dans un monde du spectacle pop-rock tellement codifié) qui au final s'avèrent absolument charmantes, son album annoncé pour le 25 avril chez Bella Union/Cooperative Music est le disque que j'écoute le plus depuis deux semaines. Immature par endroits, maladroit et un peu monotone peut-être, mais tellement, tellement, tellement humain •

PS : Alessi's Ark jouait en première partie de John Grant, dont la fière quasi-perfection et l'éloquence devant la salle alors archi-comble m'ont finalement moins touché que les multiples petits défauts de la jeune anglaise.

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